De l’importance de l’orthographe et de l’étymologie:
Tiens, un article sur les mèmes ? Mais pourquoi donc ? On ne parle pas de MashUp sur ce blog ? Effectivement, cher lecteur, et c’est parce que l’on parle de MashUp que je me dois de parler de la culture du mème internet. Cet article est d’ailleurs un prolongement naturel de ma critique d’un mashup sur un mashup duquel il reprend certaines idées. Commençons par la base : l’orthographe ! Et oui, on dit « mème » et pas « meme » (orthographe anglaise) ou même « même » (même que c’est même pas la même chose qu’un mème ! Vous avez compris là?) et cela pour des raisons bien précises qui sont tout simplement étymologiques et historiques. Le mot est entré en 1988 dans l’Oxford Bristish Dictionnary: il est donc très récent mais peut-être plus vieux que vous ne l’imaginiez, en effet, son origine est des plus surprenantes (et je fus le premier étonné!).
Je vais donc commencer par l’origine du mot qui vient du grec Mimetismos qui a été dérivé en « mimema » qui signifie « quelque chose imité ». Son acception moderne nous vient de Richard Dawkins, généticien britannique qui a développé la thèse du gène égoïste qui explique tous les comportements des êtres vivants, selon lui. Pour résumer brièvement, il part du principe que l’évolution darwinienne a été rendue possible grâce à la capacité de certains gènes de se dupliquer d’un individu à l’autre en annihilant les autres, quitte à tuer son hôte. Les gènes survivent donc, peu importe le type d’organisme qui les transporte. Si vous voulez en savoir plus, wikipédia est votre ami. J’ai utilisé là toutes mes connaissances en génétique nécessaires pour ma démonstration. Je ne suis pas non plus un génie.
Une histoire de génétique et de culture:
Dawkins s’est risqué à sortir de son domaine de compétence pour affirmer que le même système pouvait fonctionner dans le domaine de la culture : « Un mème (…) est un élément culturel reconnaissable, répliqué et transmis par l’imitation du comportement d’un individu par d’autres individus. ». Un mème devient ainsi une entité culturelle qui se propage, est modifiée, change de support, de contexte, mais ne meurt pas et transplante les autres entités culturelles. On peut donc parler d’épidémiologie de la culture. Henry Jenkins, professeur au MIT (et grand théoricien de la narration transmédia), va cependant démontrer que les affirmations de Dawkins ne peuvent être appliquées littéralement au domaine socioculturel même s’il en retient la plupart des enseignements. Il lui oppose sa théorie de la « Participatory Culture », la culture de la participation qui met en avant le partage entre individus sur internet par centres d’intérêts puis dans l’espace public du net à travers le micro blogging et les réseaux sociaux. Le mot « mème » vient donc du domaine de la génétique appliqué à la culture et est repris par des universitaires avant d’entrer dans la langue courante
Le mème, une forme de “braconnage culturel”:
Cependant, cher lecteur, je n’ai pas forcément répondu à la question essentielle que tu te poses : mais concrètement c’est quoi un mème alors ? Dans la vie de tous les jours, on appelle communément mème toute image ou vidéo virale qui est partagée abondamment et détournée, remaniée, remixée. Le mème s’impose comme un outil de la singularisation culturelle, de l’appropriation personnelle de la pop culture et des flux médiatiques. C’est ainsi une forme de « braconnage culturel » d’après l’expression de Michel de Certeau développée dans l’Invention du quotidien, 1980. C’est donc aussi une façon qu’ont les internautes de se réappropier l’art et les pratiques culturelles. Je renvoie donc sur ce point encore une fois au travail de Raphaële Bezin qui reprend De Certeau mais ne traite pas des mèmes. Elle explique cependant les mécaniques en œuvre dans la réappropriation des films qui peut s’appliquer aux mèmes.
Le mème est né de la démocratisation des moyens de création numériques et des canaux de diffusion (réseaux sociaux Youtube…) ce que résume parfaitement Yoshai Benkler dans La richesse des réseaux en 2009 : « Pour la première fois depuis le début de la révolution industrielle, les moyens élémentaires de production, et les apports fondamentaux (sens de l’humain, sociabilité, créativité) ainsi que les moyens matériels sont entre les mains de la majorité de la population. ». Ici, on citera bien sûr Photoshop qui est largement utilisé par les créateurs de mèmes, mais aussi les applications pour smartphones spécialement dédiées à la création de mèmes et aux sites internet spécialisés comme meme generator, entre autres, il en existe des bons comme des très mauvais.
MashUp et mème: même combat!
Tout comme pour le MashUp, la création d’origine n’est pas détruite, mais modifiée, appropriée. MashUp et mème : même combat ! Le mème est un hommage à un univers culturel, une réappropriation d’un travail dont l’auteur est fan, un détournement aussi parfois ou juste un moyen de mettre en image des blagues. Les mèmes s’appuient autant sur la culture d’origine qui fait l’objet de leurs détournements que le résultat du détournement en lui-même. Je la refais : le mème est donc à la fois hommage et détournement et se suffit en lui-même. Il est aussi une façon de communiquer et c’est là que l’on s’éloigne quelque peu du MashUp qui est a priori uniquement une œuvre d’art – selon moi, du moins.
Le mème: un moyen de socialisation et de communication sur internet:
Le mème est un phénomène social car il s’appuie sur l’idée de la « remixabilité » qui est le principe même de construction de l’univers des médias digitaux. On s’approprie des contenus pour les transformer ou juste les partager, mais ils peuvent aussi s’inscrire dans des discussions privées comme des messages publics. Ils permettent de faire une blague, exprimer son ressenti, partager son humeur etc. Ils sont une nouvelle forme d’émoticône. Ils permettent aussi de fédérer des communautés de fans (plutôt Geek), notamment Game of Thrones ou Star Wars qui sont très représentés sur les réseaux. Les mèmes deviennent alors un repère et la base d’un langage commun compris de tous les fans qui affirment leur appartenance à la communauté en reprenant, littéralement ou en y apportant leur patte personnelle, les mèmes utilisés par tous pour se sentir intégrés. Ils sont ainsi un nouveau mode d’apprentissage des codes sociaux. Ils supposent cependant une connaissance des films ou des œuvres de référence comme l’exemple précédent qui suppose de connaître Le Seigneur des Anneaux et Star Wars.
Cependant le mème n’a pas toujours besoin de la connaissance de l’œuvre sur lequel il se base. En effet, on peut comprendre l’étonnement de John Travolta dans son mème récent sans savoir qu’il est issu de Pulp Fiction. Ceux qui connaissent le film apprécieront davantage la référence, mais elle n’est pas nécessaire pour la bonne compréhension du mème. De même, par exemple, le Grumpy Cat ou d’autres ne se basent pas sur un élément préexistant mais détournent une photo qui devient symbolique d’une humeur, d’un état d’esprit, d’un type de blague etc. Par exemple, le Grumpy cat est un être vil qui déteste tout ce qui paraît positif et s’oppose de fait au classique chaton mignon qui fait fondre les cœurs. Appliqué à cet article, voilà ce que ça donne :
C’est un exemple tout simple, qui montre le pouvoir des mèmes qui se propagent effectivement comme des virus dans l’esprit des internautes car ils deviennent à la fois une source d’amusement et de concours de détournement ( voir par exemple Sarkozy qui gruge tout le monde aux cérémonies du 11 janvier 2015 que j’affectionne particulièrement) mais sont aussi très formatés ce qui limite souvent leur durée de vie, la blague marche quelques temps mais disparaît très vite comme ceux autour de Jawad, l’hébergeur de Daesh qui fut très symbolique du besoin du web français d’exorciser par l’humour leur peur suite aux attentats du 13 novembre 2015.
Le mème et ses limites:
Ce mème est aussi symbolique des dangers inhérents de l’épidémiologie culturelle car un mème peut amener à propager le racisme. J’ai pu voir des détournements clairement racistes qui ont posé la limite entre moquerie amusée et propagation d’idéologies. Le sexisme se retrouve aussi dans les mèmes avec des femmes transformées en symboles castrateurs et aguicheuses sans cerveau. Certains profitent visiblement des mèmes pour se venger ou appuyer des idées pernicieuses. On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui et pas n’importe comment serais-je tenté d’ajouter. Le danger est que les mèmes deviennent des vecteurs idéologiques (ils le sont cependant déjà d’une certaine façon) et perdent ainsi leur rôle de lien social et de cour de récré 2.0. Les mèmes ont pour rôle de faire rire voire éventuellement dénoncer ou moquer, mais pas de stigmatiser ou violenter. Des dérives sont en cours, espérons qu’internet saura les réguler, ou que les idéologies pernicieuses qui peuvent être brandies restent dans le cercle privé.
Car, en effet, le mème n’est plus uniquement un objet de la sphère publique, il est devenu privé grâce à snapchat, mais aussi aux discussions facebook qui ont intégré les images puis les GIF depuis peu. Elles permettent une nouvelle façon de partager avec ses proches en plus des émoticônes. Les mots sont ainsi progressivement remplacés par l’image fixe puis par l’image animée. Les mots manquent parfois pour décrire ses émotions, alors que les images, surtout animées, offrent plus de possibilités. Le mème est ainsi devenu un langage, un nouveau vocabulaire voire un nouvel alphabet pour les digital natives qui se réapproprient ainsi encore mieux leur environnement où l’image est omniprésente. Le mème a donc acquis une fonction sociale inédite et peut permettre à ceux qui ont du mal à s’exprimer et pensent par les images – je pense aux autistes, notamment – de mieux s’exprimer voire d’exprimer des sentiments qu’ils ne pourraient exprimer par les mots. Cependant, le mème étant viral et éliminant d’autres formes culturelles moins fortes risque de devenir hégémonique et s’il devient langage voire alphabet, n’y a-t-il pas un risque de standardisation exacerbé des communications interindividuelles ? Il faut y penser, mais sans oublier que les mèmes sont bien souvent utilisés par ceux qui aussi peuvent les créer. Chacun peut ainsi théoriquement propager ses idées à travers les mèmes. Une utopie ? Pas si sûr…
Pour aller plus loin (en plus des nombreux liens donnés dans le corps de texte):
- Eric Maigret, Sociologie des médiacultures, Armand Colin, 2015
- Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Gallimard, 1980
- Yoshai Benkler, La richesse des réseaux, PUL, 2009 (pour la traduction française)
- Henry Jenkins, La culture de la Convergence, Armand Colin, 2006 (2013 pour la traduction française)
http://knowyourmeme.com/ → pour découvrir les nouveaux mèmes et leurs origines, LA référence!
Un best-of des mèmes de 2015: http://www.konbini.com/fr/tendances-2/les-memes-qui-nous-ont-fait-le-plus-marrer-cette-annee/
Un grand merci à Noémie Bourdiol qui m’a bien aidé pour la préparation de cet article!
Antoine Menou