La pluie battait de rage, le chaos s’installait à Paris, entre les inondations et les grèves. On s’en souviendra de ce début de mois de juin 2016, où la capitale française semblait comme anesthésiée, où toute activité paraissait compromise, emportée par le flot de contestation général, aux revendications politiques sans aucun doute plus importantes à discuter que l’expansion du cinéma mashup. Et pourtant, c’est un fait, le mashup ne cesse de grandir, et cet événement organisé par Mashup Cinéma du 3, 4 et 5 juin à Paris 8, l’a bien prouvé.
Les curieux, au début discrets, se sont cumulés petit à petit au fil de l’événement, pour venir participer à une réflexion ouverte sur l’esprit du mashup. En adéquation avec sa dimension participative – jeu de reprises et de détournements (cinématographiques ou non), les organisateurs avaient tenu à ce que la parole se libère, pour que tous puissent s’exprimer facilement, sans langue de bois, du fond de leur cœur. Délicate attention, au regard des échanges finalement très constructifs, et qui ont permis de développer une réflexion très intéressante sur le phénomène.
Ayant comme tâche de faire découvrir le mashup, les programmations se voulaient diversifiées et suffisamment ouvertes pour montrer un panel représentatif des différentes créations mashupiennes. La première session a fait donc le choix de la chronologie. Le chemin est simple : de la pratique de la reprise par les artistes de found footage, à celle des mashupeurs. Ce qu’il faut comprendre par cette analogie, c’est que les deux mouvements, found footage et mashup, interrogent les mécaniques narratives du cinéma et leur dimension consumériste. C’est à ce moment que beaucoup sont sortis prendre un café. Pour revenir plus forts et plus nombreux, bravant courageusement le déchainement extérieur. Sous ces notions un peu barbares pour les oreilles délicates, on comprenait que le mashup, en héritage du found footage, conteste aussi l’idée que les images, les plans, les séquences de films, n’existent pas pour elles, mais pour se plier à la logique de l’histoire, du récit ; pour suivre le mouvement, celui du découpage et du scénario. Ce que les artistes font, c’est justement extraire les images pour les faire sortir du rang, pour les faire exister, pour en faire des icônes.
Et la lumière fut ! Selon Julien Lahmi, le rapport et l’accès aux images, entre le found footage et le mashup, est diamétralement opposé : d’un côté, la rareté du métrage retrouvé, rendu public, soit un mouvement ascendant, et de l’autre, l’effervescence des images, détachées de leur piédestal, soit un mouvement descendant – ce qui permet de diriger la réflexion sur les questions de mémoire. De quoi, moi, être individuel, ai-je envie de me souvenir ? De quoi un cinéaste-mashupeur a envie de se souvenir ? De quelles images ? De quelle histoire (du cinéma ou non) ? Et si, dans histoire du cinéma, je visualisais James Stewart, Robert Mitchum ou Al Pacino, et que l’artiste lui, voyait Van Damme, Wesley Snipes, Shah Rukh Kan ou Tony Leung Chiu-Wai ? Le Mashup, en exploitant des images et des objets devenus icônes pose ainsi la question de mémoire collective ou de mémoire culturelle (c’est à dire un rassemblement de fragments de mémoires individuelles choisis par les artistes. C.F. moi même dans un autre temps). Avec une passion pour les icônes visuelles, son ambition est aussi d’explorer ce qui a fait la popularité des différents médias qu’il détourne.
Images désirées
Avec tant de passion, la programmation a inévitablement basculé vers quelque chose de plus sensuel. Du moins, c’est ce que l’on a voulu nous faire croire. Car avec la troisième session « (dé)plaisirs de la chair », le jeu astucieux du programmateur, films mashup à l’appui, était de pointer du doigt l’habituel rejet de la pornographie – son exposition vulgaire et frontale d’une sexualité exacerbée et crue – alors que le jeu de célébration iconographique passe par les mêmes mécaniques exhibitionnistes. Mon cerveau en était retourné. L’orgie de cinéma ne vaut pas mieux que l’orgie sur Pornhub ? La question est intéressante, mais les films de cette dernière programmation s’amusaient à déjouer tout l’aspect tabou et pudique du porno, en ramenant soit à une forme de trivialité – voir le film très drôle de Bouli Lanners, Les Soeurs Van Hoof :
Soit à un ballet artistique ressassant les codes visuels du genre : Fig. 4, de Augustin Gimel. Malheureux, ne cliquez pas sur ce lien que vous ne saurez voir !
Finalement, la dimension discursive de ces films, qui mélangent question de moralité sociale et images explicites, ont permis à la réflexion autour du mashup de s’étendre au delà du cinéma. D’ailleurs, rien ne permet de limiter le mashup au 7 e art, puisqu’il est lui-même issu d’une pratique scientifique, puis héritier des expérimentations musicales, et notamment de Disques Jockey, affirmant son affiliation rythmique plutôt que narrative. Les films-mashup, en effet, ne racontent pas forcément une histoire au sens de dramatisation (genre « il était une fois » et « ils s’accouplèrent et eurent beaucoup d’autres mashupeurs ») mais racontent l’écriture artistique de leurs cinéastes, au travers de leurs choix et de leurs assemblages. Le mashup prouve que l’on n’a pas besoin d’avoir inventé les images reprises pour créer quelque chose de nouveau, montrant bien qu’avec une telle expansion, il deviendra bientôt une pratique artistique incontournable.