« Évidemment, ça devait arriver! Maintenant ils parlent de porno sur Mashupcinema! C’est pour faire du clic ça! » pourrais-tu penser cher lecteur. Mais détrompe toi! La pornographie est un sujet ô combien central dans le mashup! Le porno a pris une telle place dans notre imaginaire et même si nous n’en consommons pas tous quotidiennement, nous avons tous, à un moment ou à un autre, vu des images, des photos, lu des romans peut-être. Ne soyons pas prudes! Si le porno est devenu si populaire pour le meilleur et pour le pire dans un monde de consommation audiovisuel sans fin, il est forcément, parce que populaire, l’objet de nombreux mashups!
Le porno: icône pop?
En commençant la rédaction de cet article, j’étais tenté de le classer dans la catégorie « icône pop » de notre webzine tant il a sa place en terme de popularité entre James Bond et Star Wars. Je fais de la provoc’? J’avoue, oui, un peu! Plus sérieusement, je pense que la pornographie est un objet ambivalent, complexe à saisir car protéiforme. Le terme « porno » recouvre de nombreux objets: des films, des vidéos, des photos, des livres, des sextapes, des BD, des mangas, des jeux vidéos etc. La monstration explicite de l’acte sexuel se fait sous de nombreuses formes, plus ou moins raffinées, plus ou ou moins subtiles. On retient surtout ces films faits à la chaîne qui tourne autour du même schéma: rapport bucco-génital, pénétration dans diverses positions, zooms gynécologiques sur le coït, éjaculation externe avec emphase digne d’un ours mal léché en rut et une femmes soumise et capable de vocalises dignes d’une truie qu’on égorge.
C’est cru, oui, je sais, désolé pour ceux qui mangent en lisant – j’ai oublié de prévenir, pourtant le titre dit tout, non? Bref, la représentation de la sexualité par l’industrie pornographique me lasse, et je ne suis pas le seul, j’imagine bien! La quantité astronomique de ces vidéos que l’on peut facilement trouver sur le web – je ne donnerai pas de site, désolé! – est une mire d’or pour le mashupeur qui peut s’adonner à son plaisir solitaire sans limite – je parle bien de mashup, hein! Pourquoi s’en priver ? Tant d’images à détourner! Ce serait un crime de lèse-majesté que de ne pas les utiliser!
Le porno: une nouvelle religion?
Dire que le porno est stéréotypé, c’est galvaudé, le démontrer par l’image, c’est mieux! C’est l’objet du mashup expérimental d’Augustin Gimel Fig. 4, 2004, 5′ qui est présenté sur la page viméo de l’auteur par ces termes:
« Corps et mouvements recomposés à partir d’images pornographiques prélevées sur Internet. Golem sexuel. L’acte projeté et façonné à une autre image, celle d’un corps composé de mille corps aux possibilités infinies. »
Ce que cette description ne dit pas, c’est que cette œuvre est composée d’images fixes dont la durée n’équivaut qu’à un photogramme d’où son aspect hypnotique et étrange renforcé par le Salve Regina d’Alessandro Scarlatti, chant liturgique dédié à la vierge Marie. Le religieux et le porno s’accordent cependant dans une parfaite osmose hypnotique. L’enchaînement très rapide des images permet aussi de voir des enchaînements où le même cadre, la même position sont répétés maintes et maintes fois, comme si le porno était devenue une icône religieuse du XXIème siècle. Un mashup expérimental (sur les liens entre mashup et expérimental, je vous recommande ce précédent article par Noémie Bourdiol) des plus passionnants qui donne à réfléchir sur la place du porno dans notre imaginaire (je vous conseille de ne pas regarder ce qui suit en mangeant ou dans le métro):
Le porno: mieux vaut en rire?
Les vidéos pornographiques sont facilement détournables pour créer des scènes les plus comiques les unes que les autres et c’est de cela dont il va être question ici avec cette publicité pour Diesel de 2008 (oui, j’inclus une publicité, pourquoi pas? Ne soyons pas claniques!) qui a le mérite de me faire rire à chaque fois que je la vois. C’est ici l’aspect surjoué de l’industrie pornographique qui est tourné en dérision pour notre plus grand bonheur! Je n’en dis pas plus pour ceux qui n’auraient jamais eu la chance de la voir:
Les auteurs des Messages à caractère informatif sur Canal +, Nicolas Charlet et Bruno Lavaine ont décidé de s’attaquer aux films pornographiques et érotiques avec Message à caractère pornographique – A la recherche de l’Ultra Sex, 59 mn, sorti le 5 juin 2015 et toujours diffusé tous les vendredi à 20h30 au Studio Galande à Paris (avant le Rocky Horror Picture Show à 22h). Mélange de films pornographiques et érotiques essentiellement des années 70 et 80 avec des voix refaites par Nicolas et Bruno, le fou rire est garanti! Une véritable réussite selon moi! La bande-annonce vend suffisamment de rêve pour vous obliger à foncer aller le voir de ce pas:
Ce mashup est également un formidable hommage à l’inventivité et à la diversité des films pornographiques et érotiques à la période dite de l’âge d’or du genre. Parfois, les images seules font rire mais leur imbrication apporte un véritable plus en montrant comment ces films peuvent se pénétrer entre eux pour créer un tout cohérent et complètement délirant. Le doublage permet aussi de faire des commentaires sur les films en eux-mêmes, sur le décor, les mouvements de caméra etc. Une critique habile et surtout légère. C’est cependant davantage un cri d’amour à un cinéma qui semble aujourd’hui disparu, la touche délirante de ces décennies 70 et 80 semblant avoir aujourd’hui disparu pour des films encore plus formatés et axés sur la performance.
Le porno: c’est du found footage aussi!
Le réalisateur-acteur belge Bouli Lanners s’est amusé avec du found footage amateur trouvé dans son pays natal et s’est mué en narrateur de génie, croyez-moi, ça vaut le détour! Je n’en dis pas plus car il faut se laisser surprendre. Comme les sœurs Van hoof, vous n’allez rien voir venir!
Les image pornographiques sont aussi un outil puissant pour véhiculer un message, protester, défendre une cause. On pense bien sûr aux féministes qui y voient, à raison, un moyen d’asservir la femme pour le seul plaisir masculin en niant le plaisir féminin ou en l’adaptant aux fantasmes et à l’imaginaire masculins, même si l’industrie évolue timidement sur ce point grâce à certains réalisateurs et surtout réalisatrices. On peut l’associer à un discours politique pour le décrédibiliser et le critiquer comme c’est le cas avec ce mashup de la chaîne « fautetremalade »:
Son auteur a bien voulu m’en toucher quelques mots et son point de vue est effectivement instructif pour mieux comprendre le film :
« Ce sont les éléments de langage politique qui sont effectivement pornographiques : des mots et phrases répétitives, simplistes et univoques, assénées par des orateurs / acteurs différents et interchangeables. […] Les images de ce répertoire sexploitation, suggèrent aussi un peu l’idée des gouvernants comme directeurs de maison de redressement ou d’asile d’aliénés à l’ancienne avec tous les fantasmes de châtiments corporels qui engendrent des comportement déviants. Est-ce là leurs cauchemars ou les nôtres ? »
La pornographie est donc ambivalente, à la fois symbolique et visuelle, mais Jacques Spohr n’hésite pas à souligner que ces images ne sont pas utilisées qu’à cause de leur poids symbolique :
« ces images sont malgré tout de vraies images de cinéma, probablement plus que les images de films strictement pornographiques ; il en ressort ainsi quelque chose de presque charmant, désuet, naïf et touchant… »
Je ne suis pas forcément totalement d’accord avec l’aspect « charmant » ou « naïf », mais force est de reconnaître que ces images ont un aspect envoûtant, effectivement, surtout dans leur contexte. Le mashup est toujours une question de contexte, qu’il soit de trucages ou de montage pur. Enfin, il apporte un point de vue tout à fait intéressant sur le rôle du mashup dans le militantisme politique:
« Même si l’ensemble est résolument contre l’état d’urgence, j’ai voulu éviter l’écueil du film militant qui est un genre qui m’insupporte le plus souvent. D’ailleurs il semble que les militants purs et durs à qui j’ai envoyé le lien de la vidéo ne l’ont pas particulièrement appréciée. Militantisme ne rime généralement pas vraiment avec ambiguïté ou humour… »
Dans un autre registre, ce film d’Edouard Salier confronte monde occidental et terrorisme islamiste dans un mashup étonnant à la fois création originale et mélange d’images en tous genres. Son message, donné au début du film, est le suivant:
« L’Empire dévoile tout mais ne voit rien.
Ses ennemis idéalisent tout mais ne tolèrent rien.
L’orgasme terrestre des putains cathodiques pour les uns.
L’orgasme éternel des 70 vierges paradisiaques pour les autres.
Et si la chair était seule au monde? »
A vous de juger:
Quand le numérique permet de mashuper ses fantasmes
J’avais affirmé dans un précédent article que l’amateur vaincra. Cela n’a jamais été aussi vrai que dans la production de vidéos pornographiques. Filmer ses ébats est aujourd’hui quasiment banal, les sites spécialisés pullulent et rencontrent un vrai succès. La quête du vrai, de l’authentique, d’une sorte de télé-réalité, vraie celle-là, de la vie sexuelle débordante de l’humanité semble accomplie – si l’on excepte, bien sûr, les fausses vidéos amateures faites par des pros qui pulullent sur les sites spécialisés. L’industrie résiste, internet a aussi permis l’émergence de films exclusivement produits pour ce média. La concurrence des amateurs a eu pour effet d’obliger les professionnels à monter en gamme, à sortir de certains sentiers battus, de varier, enfin pas tous, hélas!
Cette recrudescence d’images amateurs a aussi permis de voir la naissance des mashupeurs de fantasmes. Ces hommes et femmes puisent dans les vidéos qu’ils ont préférées et mélangent le tout. La pratique est tellement courante que certains sites comme un hub pour porno, un hamster fou ou un YouTube du sexe ont leurs catégories dédiées à ces œuvres. Bien sûr, il s’agit de montages grossiers, sans effets, rarement travaillés, des mashups bruts, en somme. Même s’ils ont un intérêt artistique limité, ils sont d’un enseignement très précieux sur la culture numérique de tout un chacun.
En effet, ils montrent que beaucoup d’amateurs de sites pornographiques ne se contentent pas de consommer les vidéos, ils se les approprient grâce à internet et aux outils de montage numérique. Il s’agit d’une véritable révolution, comme nous le disons sur notre site, à propos du mashup, mais là ça l’est encore peut-être un peu plus au vu du contexte particulier du porno qui touche à la sexualité et donc à l’intime. Se montrer devant la caméra est déjà osé et change le rapport que nous entretenons avec notre corps par rapport aux images…
…Mashuper des vidéos pornos est une autre porte ouverte sur l’imaginaire, sur les fantasmes d’un individu, un accès à ses désirs. C’est un moyen de montrer ce que l’on aime, ce que l’on aimerait faire, vivre. De montrer ses désirs les plus refoulés. C’est pour moi encore plus intime que de forniquer face caméra ou se prendre nu en photo. Le mashup participe donc plus que pleinement à ce nouveau rapport qu’ont les humains avec leur corps et leur sexualité grâce à internet et à l’image numérique.
Je terminerai donc sur cette note optimiste (peut-être un peu utopiste, j’en conviens tout à fait!): le mashup est un nouveau moyen de libération sexuelle numérique. Il est un outil de lutte contre les clichés sexistes de l’industrie pornographique, un moyen de détourner ces images pour en rire, mais aussi de rendre hommage aux pornographies inventives et alternatives. C’est également un outil de lutte pour décrédibiliser le discours établi moralisateur et répressif. Mais aussi un moyen de partager son univers fantasmatique sans se dévoiler. Je suis sûr que je n’ai pas encore développé tout ce qui existe et que les internautes et artistes ont encore plus d’un tour dans leur sac! La sexualité est universelle et commune à tous les hommes et femmes, bien que diversement représentée et pratiquée selon les cultures, alors partageons là, accouplons nos goûts et nos désirs et donnons naissance aux plus beaux mashups qui soient!
Le phénomène sociologique du “nude”, un autre point de vue sur l’appropriation de son corps et de sa sexualité par les adolescents et surtout adolescentes.
Le tumblr et lecompte Instagramde Sammy Slabbinck, mashupeur d’images rétro à que je dois les illustrations de cet article.
Un grand merci à Julien, Alexis, Oriane et Amélie de la rédaction pour leurs précieux retours et suggestions, ainsi qu’à Noémie pour m’avoir fait découvrir certaines vidéos!