Dans ces temps un peu moroses, je me suis rendue compte que les seuls films que j’avais envie de regarder portaient sur la danse. Quoi de mieux pour se changer un peu les idées que les envolées joyeuses dans Paris d’Audrey Hepburn dans Funny Face ? Très vite je me suis posé la question suivante : comment expliquer cette histoire d’amour entre le cinéma et la danse ? Et surtout qu’en est-il du mashup ? J’ai eu envie d’en savoir plus et de vous le faire partager.
La fascination pour la capture de l’expression corporelle dans son mouvement date. Muybridge (ci-dessus) s’y essayait déjà quand les frères Lumières accrochent Loïe Fuller et sa danse serpentine sur leur pellicule. Dès lors, on retrouve pléthore de performances filmées: des danses de salon, aux valses flottantes jusqu’aux arabesques expérimentales. La danse, qui transportait déjà les foules, gagne en magie par la baguette/caméra et enchante de façon nouvelle le spectateur des salles obscures. Cinéma vient du grec kínêma qui signifie « mouvement ». Leurs destins étaient donc scellés. Ces deux arts s’entrelacent pour ne former plus qu’un, une nouvelle forme pleine de possibles. Le cinéma, grâce à ses artifices, offre une utilisation de l’espace qui transcende les codes de la danse. L’univers dans lequel évolue le corps n’est plus limité au plancher de la scène, il devient un artefact qui entre en dialogue avec le danseur, mais aussi avec le spectateur.
Comment ne pas penser à Fred Astaire dans Royal Wedding en 1951. La scène de la danse au plafond m’ensorcelle à chaque fois. Hollywood et ses larges budgets fait fleurir des genres cinématographiques d’où vont surgir de nouvelles approches de la danse. Le spectateur, par l’œil de la caméra, est aspiré dans les chorégraphies gigantesques des comédies musicales, est transporté sur les toits des villes au crépuscule, emporté là où mènent les pas des danseurs effrénés. Le cinéma permet de matérialiser un dialogue entre la danse et les idées, il développe des discours qui parfois ne sont qu’évoqués dans le spectacle vivant. La caméra, devenue elle-même danseuse, peut traduire un élan de liberté, d’émancipation ou de partage. Mais l’œil du cinéaste peut également dénoncer une lutte, l’appauvrissement et l’assèchement d’une pensée dans la complexité et la restriction du mouvement capturé. Je pourrais continuer des heures sur le sujet, citer des centaines de films. Mais il est grand temps de laisser entrer le Mashup dans la danse, il se chargera d’en convoquer au moins une partie.
Le montage est intrinsèque au mashup, les pièces qu’il assemble sont le corps du danseur et la dynamique de l’ajustage : l’œuvre d’un chorégraphe. Il semble parfois que cela soit les extraits choisis eux-mêmes qui mènent le pas. L’’union du mashup et de la danse paraît donc naturelle et logique.
De nombreux artistes mashupeurs mettent en scène des found footage (non pas provenant du genre mais bien de bout de films retrouvés) sur la danse. L’exemple le plus cité étant All This Can Happen de Siobhan Davies & David Hinton, moyen métrage de 2012. Patrick Bensard, de la Cinémathèque de la Danse en parlera comme d’« un véritable chef d’œuvre. [Comme] l’expression parfaite de la méditation autour de la logique de la vie et de son précieux désordre. » Avant d’ajouter : « je ne connais rien de plus complexe, simple, archaïque, postmoderne que la vision évoquée dans ce film miroir. » Dans une dimension plus expérimentale, l’artiste Cécile Fontaine réalise Japan Series (1991). Ses images sont celles d’un documentaire trouvé sur la performance d’une compagnie japonaise de danse butô. L’artiste décolle les couches de la pellicule 16 millimètres correspondant aux trois couleurs de base et les réassemble pour créer une sorte de transe cinétique. Les mouvements très lents de la danse butô sont disséqués ici par le montage, donnant à réfléchir sur les corps entremêlés avec la pellicule dans un maelström de couleurs.
Japan Series (1991) – Cécile Fontaine
Afin de se rapprocher petits pas par petit pas du mashup sur les films de danse plus cultes, je vous suggère de parler de Raphaël Minnesota. Son nom vous rappelle quelque chose ? Nous en avions déjà parlé dans l’arricle sur le mashup expérimental et il figure dans notre catégorie Hapax. Son court Rain and Fever est un hommage à John Travolta et Gene Kelly, La Fièvre du Samedi Soir valse avec Chantons sous la pluie. Comme dans un trip sous LSD, ce mashup rassemble deux mastodontes de la danse au cinéma. Le glitch art souligne l’aspect magique d’une telle réunion. (Le what ? En quelques mots le glitch art c’est la transformation de bugs ou d’erreurs analogiques ou numériques en images très esthétisées.) Voyez vous-même.
Encore une fois, la sélection parmi les pépites du world wide web est dure mais il est temps de passer aux mashups plus populaires, ceux qui regroupent les chorégraphies que l’on connaît tous. Ils sont nombreux, certains mashupeurs vont chercher des passes de salsa au fond de leur cinéphilie mais se retrouvent toujours avec les autres lorsqu’il s’agit de scènes mythiques. Comme sur une piste de danse, ils s’éloignent par moment et s’enserrent à d’autres. Pourquoi sommes-nous si friands de ces mashups là ? La danse au cinéma transporte le spectateur, quelque soit le contexte narratif. Elle permet justement de se détacher du récit l’instant d’un twist. Ne vous est-il jamais arrivé de revenir à la « réalité » en vous disant « ah oui c’est vrai, ça continue, il reste la course poursuite à terminer ou l’amant à reconquérir » ? Ce que les mashupeurs ont compris c’est que l’on en redemande, ainsi nous proposent-ils sur un plateau d’argent les scènes mémorables qui swinguent notre culture ciné.
L’éventail est large tout en étant un peu répétitif. Pourtant, on ne s’en lasse pas.
Jamais déçus d’un Blow Up :
https://www.youtube.com/watch?v=DLFP9XpEC9E
Christopher Walken danseur, who knew ?!
Robert Jones est un mashupeur prolifique en matière de mashups de danse, We Can Dance comporte déjà quatre parties.
https://www.youtube.com/watch?v=9l5TrAXScbE&list=PLIIGjwx1HDRGn_gloF4hRU9I9RpTqgMdF
De l’assemblage de vieux films au dernier de What’s the Mashup , la chanson Uptown Funk de Mark Ronson et Bruno Mars a presque détrôné Shut Up and Dance de Walk on the Moon en matière de bande originale pour les mashups de danse qui buzzent sur Youtube. Ils restent encore nombreux je vous rassure, des séries TV aux dessins animés , il y a de quoi regarder. Je mets d’ailleurs au défi celui ou celle qui réussira à regarder tous les mashups de danse ayant cette bande son, avant qu’elle ne détruise littéralement ses tympans.
Enfin, on doit leur reconnaître ça: ces mashups là donnent la patate! On irait presque au boulot lundi matin en dansant. Alors je vous laisse vous déhancher en cette soirée dominicale avec un dernier mashup rapprochant l’émission Soul Train et les Daft Punk. Don Cornelius c’est à toi ! :