Antonio Maria Da Silva, ce nom ne vous dit peut-être rien mais il est l’auteur de mashups qui ont fait le tour du Net. « Neo vs Robocop » c’est lui. « Hell’s Club » où le Pacino de « Scarface » rencontre celui de « L’Impasse » qui croise les personnages de « Star Wars », « Terminator », « Blade », le tout sur la musique des Bee Gees de « La Fièvre du samedi soir », c’est lui aussi.
Un de ses derniers fait d’arme : un mashup de scènes dansées, tirées de 300 films différents sur le « On the Floor » de J.Lo. A l’heure où il sort un nouveau mashup mettant en scène les boogeymen de « Halloween » et de « Vendredi 13 », nous avons souhaité interviewer ce mashupeur (il est aussi réalisateur et monteur professionnel) qui se décrit comme « cinépopculturophile » (« disons que les films m’intéressent autant que leurs influences dans la pop culture »).
Quelle est votre définition du mashup ?
La définition du mashup, c’est la liberté absolue, la liberté de concrétiser les idées les plus folles.
Etrangement, j’ai pris conscience de ça il y a très peu de temps – depuis « Hell’s club » – et du coup j’ai accédé à « une autre dimension » du mashup. J’ai comme ouvert la boîte de Pandore et tout un monde hallucinant s’est ouvert à moi.
Comme vous le savez si vous avez parcouru les pages de la WebEncyclopédie Mashup Cinéma, les mashupeurs se classent en différentes catégories et notamment les « hommageurs » qui rendent hommage à un réalisateur, un acteur ou un personnage, les « doubleurs » qui modifient le doublage des films (le précurseur le plus célèbre reste « Le Grand Détournement » de Michel Hazanavicius ) etc. Quant à vous, on vous désigne sous le terme de « truquiste ».
Je voudrais juste un peu replacer les choses dans leur contexte. Il y a en effet beaucoup de trucages dans mes films mais ils ne sont jamais gratuits . Ils servent toujours la narration.
A rebours des mashups qui jouent du choc des images, chacune de vos œuvres forme un tout cohérent, avec un début et une fin, un fil narratif. Cette cohérence passe par un important travail chromatique afin de gommer les différences visuelles entre les films, comme ce mashup confrontant le Sly de « Rambo 2 » avec le Schwarzy de « Predator » avec son image jaunâtre qui donne l’impression que c’est la même jungle et le même film. Mais aussi l’utilisation de miroirs qui jouent le rôle de split screen. Ces miroirs ont-ils seulement une fonction plastique dans vos mashups ?
Dans mes mashups, j’essaye toujours d’effacer le plus possible la frontière entre les films afin de créer de nouvelles sensations, de nouvelles ambiances, de nouvelles histoires. Mais, pour cela, il est important de s’approprier le matériau d’origine et croyez-moi, ce n’est pas une gymnastique intellectuelle facile. En ce qui concerne les miroirs, c’est une astuce pour montrer plusieurs personnages de films différents dans le même plan, notamment lorsqu’il s’agit du même comédien à des âges différents. Mais c’est aussi un miroir sur le passé des acteurs, une sorte de mise en abyme. C’est quelque chose d’assez vertigineux quand on y pense.
Pour Julien Lahmi, cinéaste mashupeur qui dirige le nouveau Mashup Film Festival, « les mashupeurs sont des cinéastes à part entière, car ils reprennent les images pour exprimer leur point de vue sur le monde. Le mashup n’est pas un genre, c’est un état d’esprit. » Quel serait le message de vos mashups ?
C’est avant tout un point de vue sur le cinéma que j’exprime. Pour moi, ce sont d’abord des personnages populaires avant d’être des acteurs, même si « je joue » avec les acteurs aussi . Il m’est arrivé de prendre un bon personnage dans un film moyen, par exemple, « The Mask ». Dans mes mashups, je parle surtout de cinéma , de façon diégétique, intradiégétique et même extradiégétique, il y a un triple discours et une triple narration, qui d’ailleurs m’échappent un peu quelques fois. Il y a des moments de grâce comme la rencontre, dans « Hell’s Club », du Tom Cruise de « Cocktail » [l’un de ses premiers rôles, ndlr] avec le Cruise de « Collateral ». Ou ce moment ou le Travolta de « La Fièvre du samedi soir » regarde le Pacino de « L’Impasse » mourant au sol, c’est le bon exemple de la triple lecture, Travolta regarde Pacino en pensant au Al Pacino qu’il a admiré dans « Serpico », le personnage regarde le comédien qui joue un personnage qui meurt, et déclenche la tristesse d’un acteur John Travolta qui regarde le travail d’un comédien qu’il a toujours admiré. Vertigineux, je vous disais.
Ça vous ennuie que les gens comparent le mashup à un détournement lolesque, au même titre qu’un mème de Reddit alors qu’il y a une vraie réflexion, un vrai travail créatif derrière ?
C’est vrai que je ne suis pas un adepte du lol immédiat, mais malheureusement c’est Internet qui veut ça, la plupart des gens zappent s’il n’y a pas un truc drôle qui les accroche tout de suite, alors qu’au contraire, j’aime prendre mon temps pour abattre mes cartes. Pour lutter contre cette habitude, il a fallu que je fasse des mini-teasers de mes mashups pour que la plupart de gens aillent voir au-delà des deux minutes. J’essaye toujours qu’il y ait une double lecture : on peut les voir comme de simples divertissements mais aussi un plaisir un peu plus subtil pour les cinéphiles du cinéma populaire, je précise cinéma populaire et pop culture, même si je n’ai rien contre un Bergman de temps en temps.
En même temps, ce qui rattache le mashup à la culture internet, c’est cette vision commune des films comme banque d’images dans laquelle on peut se servir à volonté, c’est cette croyance qu’on peut mélanger les images, les mixer, les malaxer, les détourner, les retourner, ce qui aurait été vu quelques années plus tôt, quand le montage n’était qu’analogique et le Web pas encore 2.0, comme un blasphème ? Le mashup est-il une forme de désacralisation de l’œuvre ?
C’est vrai qu’aujourd’hui, grâce à la démocratisation des outils techniques, les gens s’approprient très facilement les images. C’est vrai aussi que nous avons été considérés comme des voleurs d’images et encore aujourd’hui, il reste un noyau dur de personnes qui pensent que c’est un blasphème pour le cinéma . Le désacraliser ? Non, bien au contraire. En ce qui me concerne tout du moins, je le sacralise, le célèbre, le remets en lumière sous un jour nouveau. Mais c’est vrai que beaucoup de mashups vus sur le Net attaquent les films en les parodiant. Je parodie très rarement de mon côté.
Avez-vous des scrupules à retravailler les images des autres ? Et en tant que créateur, n’avez-vous pas peur qu’on prenne aussi vos montages pour en faire de nouvelles œuvres ? Considérez-vous que vos oeuvres appartiennent aux internautes ?
Je n’éprouve aucun scrupule car je respecte plus que tout tous les films que j’utilise. C’est cette admiration qui me guide dans ce travail de re-création et de relecture. D’un autre côté, je fais aussi mes propres créations, donc aucune frustration créative de ce côté-là, mais réaliser un mashup est un tel plaisir, le plaisir de réinventer le cinéma. Une fois le montage fini et livré au public, je considère que ces oeuvres m’appartiennent intellectuellement mais n’importe qui est libre de les partager et de les modifier. Si une personne reprend mes mashups comme ça arrive assez souvent et qu’elle me cite, il n’y aucun souci, mais j’ai des fans qui guettent et me préviennent dès qu’une personne oublie de me citer (rire).
Ce qui a rendu possible le mashup, c’est le montage numérique qui permet aux monteurs d’avoir accès plus facilement aux images, d’être davantage précis dans la découpe des plans, de pouvoir tester différentes choses. Pourtant, réussir un mashup n’est pas une mince affaire. Vous prenez combien de temps pour chaque mashup ? C’est quoi le plus galère dans la réalisation d’un mashup ?
C’est une bonne question. Et oui ce n’est pas si facile de faire des mashups narratifs, beaucoup s’y cassent les dents. Je pense que mon expérience et ma « cinépopculturophilie » m’aident beaucoup. Réaliser un mashup narratif, c’est un boulot de réalisateur avant tout. Il faut créer une narration tout en pensant à y injecter de l’humour, de l’action, du suspense, de l’émotion. Concernant la durée de fabrication d’un mashup, c’est dur de faire une estimation parce que la plupart des mashups se construisent d’abord dans ma tête pendant des mois, voire des années avant de se concrétiser en images. Ce qui est une vraie galère dans la fabrication d’un mashup, ce sont les idées, les idées et les idées. Comme pour toute réalisation, on en revient toujours à ça. Il faut réussir à créer des ramifications entre les films, les acteurs, les personnages, parler de cinéma tout en distrayant les gens. Ce n’est que le début. Ensuite, les idées il faut les mettre en place avec le montage et les effets spéciaux. Croyez-moi , c’est bien plus compliqué intellectuellement parlant de réaliser un mashup qu’un film. Après la logistique d’un tournage, c’est autre chose bien sûr.
Vos mashups sont visibles sur YouTube où ils marchent très fort (plus de 6 millions de vues pour votre mashup « Hell’s Club »). Êtes-vous condamné à rester sur le net pour des raisons de droit d’auteur ?
Pour l’instant oui. Mais mes mashups sont cependant assez souvent projetés lors de projections spéciales ou lors de master class, notamment à la BBC par exemple.
N’avez-vous pas peur justement que votre compte soit supprimé sur YouTube pour violation de droits d’auteur ?
Je croise les doigts, c’est mon troisième compte après deux comptes supprimés mais YouTube gère beaucoup mieux ces choses aujourd’hui, il y a une vraie tolérance par rapport au mashup qui commence à être considéré comme un « art ».