Mashup, ou l’art de s’affranchir des droits d’auteur…sujet épineux qui fait grincer des dents les puristes du cinéma ! En effet, certains y voient un pillage d’images en plus d’une imposture quand il s’agit de qualifier les mashupeurs de pro de l’audiovisuel. Faire des films en utilisant sciemment les images des autres dans une démarche éminemment artistique, est-elle condamnable ? N’est-il pas temps de repenser cette notion de droit d’auteur qui tend vers l’obsolescence au fil des années ?
Pourquoi certains artistes devraient se soumettre aux droits d’auteur tandis que d’autres peuvent s’en affranchir ? Cette liberté suscite, à juste titre, la controverse. Gardons tout de même à l’esprit que tous les arts sont différents et que par définition, ils génèrent des enjeux variés. Des clauses sont nécessaires pour encadrer les formes d’expression artistiques quelles qu’elles soient. Cependant, elles sont difficilement applicables tout azimut. Ne faudrait-il pas repenser certaines d’entre-elles, en l’occurrence celle des droits d’auteur dans le cas du Mashup ? Afin de mieux comprendre cet octroiement d’images, ne négligeons ni le contexte, ni l’état d’esprit de cette forme d’expression qui fait polémique !
Fondamentalement, toute création dépendante d’une oeuvre préexistante implique de passer par la case “droits d’auteur”. Des textes de loi ont été rédigés des siècles auparavant dans le but de protéger à la fois l’oeuvre originelle et l’auteur. Les mashupeurs s’en exonèrent ouvertement, piochant à droite et à gauche les images qui les inspirent, sans prendre le temps de demander lesdits droits. S’en suit un travail de montage dans une démarche de réappropriation de la matière. Ainsi, l’enjeu est de créer une oeuvre singulière et personnelle. Qu’il soit humoristique ou bien à caractère politique, le Mashup est assurément une forme d’expression artistique. De ce fait, elle n’a nullement vocation à rester dans le cercle privé et c’est ici même que se pose la question des droits d’auteur. La visibilité est une priorité absolue à laquelle le Mashup ne déroge pas ! Sans cette optique du partage, il ne serait plus fidèle à son état d’esprit. État d’esprit qui pourrait d’ailleurs se résumer par les cinq termes suivants: emprunter, transformer, remonter, relier, partager.
Avec l’explosion de la bulle 2.0 en 2000, les frontières sont mises à mal, Internet devient le centre du monde. Ce bouleversement planétaire nous a forcé à repenser nos modes de fonctionnement, l’art n’y faisant pas exception ! Au fil des époques, les artistes se sont toujours servis de matière à leur portée, en rapport avec leur temps. Qu’en est-il du XXI ème siècle ? Quelle matière possédons nous ? Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une telle recrudescence d’images, de vidéos, de sons postés sur la toile que l’on s’y perd.
Les réseaux sociaux ont largement contribué à cette surabondance d’images qui ne se distinguent plus nécessairement par leur qualité. Le caractère unique ou l’originalité de l’image ne sont plus des critères qui permettent de se démarquer de “la masse” (notion d’ailleurs inexistante avant l’arrivée du Net). Aujourd’hui, chacun peut s’improviser photographe du jour au lendemain et montrer au monde ses clichés qui, une fois postés, deviennent accessibles. Un simple copier-coller permet d’acquérir une image jadis protégée. Quand hier les images étaient tangibles et limitées en terme d’exemplaires, aujourd’hui leur aspect dématérialisé implique non seulement une possibilité de la reproduire à l’infini mais aussi une réutilisation potentielle par d’autres. Les mashupeurs l’ont compris et se sont emparés de cette matière phénoménale mise à disposition par qui veut bien partager ses images.
Et un mashupeur qui réalise un film avec une cinquantaine d’images prises ici et là, passerait plus de temps à demander les droits aux auteurs qu’à créer ! Dans le cas du Mashup, la demande de droits serait si chronophage qu’elle tuerait toute la spontanéité essentielle à cette forme de création.
Une demande d’utilisation appelle à un temps de latence qui plonge l’artiste dans une attente. Celle-ci s’avère néfaste pour le mashup, là où pour d’autres arts elle n’impacte pas forcément le processus de création. Prenons l’exemple d’une demande de droits d’images d’archives privées pour mettre dans un Documentaire sur la Guerre 39-45: elle n’aura pas les mêmes répercussions sur le réalisateur dans la construction de son film. Certes, il ne pourra être que déçu dans le cas où il ne les obtient pas mais cela n’entravera pas (ou peu) sa créativité. Pourquoi ? Car il n’est pas aussi tributaire des images d’archives que l’est un mashupeur vis à vis des images qui ne sont pas siennes. En effet, elles représentent son unique matière pour laisser court à son imagination. Le réalisateur de film, lui, possède sa propre matière, à savoir les images qu’il a tournées. Libre à lui de vouloir des images supplémentaires pour appuyer son propos.
La démarche est semblable aux deux artistes: exprimer une idée, un point de vue personnel. Seulement, ils se différencient par la matière. Sans cette dernière, le mashupeur se voit privé de son moyen d’expression. N’est-ce pas à ce moment précis que la question des droits d’auteur s’avère poreuse dans le cadre du Mashup ? Les internautes mettent sciemment en ligne leurs photos de vacances, leurs vidéos de concert, leurs sons enregistrés avec leur téléphone portable. Dans quel but ? Celui du partage mais aussi pour gagner en visibilité, optiques prônées par le Mashup même !
Alors peut-être devrions-nous être plus indulgents avec ces artistes empruntant les images mises à disposition. Le risque qu’engendre la mise en ligne des images sur le net, à savoir la réutilisation illicite ne semble pas freiner les individus le faisant, bien au contraire. Les images affluent de jour en jour et les jeunes générations ne semblent pas les dernières à prendre part à ce grand brassage qui s’étend au monde entier. Réseaux sociaux, blogs ou encore forums représentent de véritables mines d’une matière inexploitée et exploitable par ces artistes en quête de renouveau audiovisuel. Détournement, humour, visée politique ou contestataire, le Mashup puise ses sources dans une société contemporaine, régie par l’image.
En s’appropriant ces images qui ne sont pas siennes, le Mashup façonne une manière de faire des films autrement. Pour les mashupeurs, l’heure n’est plus au tournage mais au montage qui représente quasiment à lui seul, tout le processus de création. La démarche créative du Mashup prend clairement ses appuis sur la matière qu’offre l’époque. A quoi bon tourner des nouvelles images ? Pourquoi ne pas se servir de celles qui existent déjà ?
Au fond, n’est-ce pas un moyen de contrôle sur ces vagues d’images qui nous submergent ? Cette forme d’expression lutte ouvertement contre cette oppression d’images due à la toile mais pas seulement. Les appareils photos numériques sont accessibles et ne sont plus réservés à une tranche de la société qui possède l’argent requis. Le monde n’a jamais évolué aussi rapidement. Les technologies d’hier sont obsolètes et celles de demain nous sont encore obscures. Les images affluent et sombrent dans l’oubli aussi vite qu’elles sont arrivées. Les droits d’auteur sont-ils encore une notion valable pour cette forme artistique qu’est le Mashup ? Rien n’est moins sûr.
Nous sommes au XXI ème siècle, les jeunes n’ont jamais été aussi connectés. Ils ne sauraient envisager un monde où l’ère numérique n’existerait pas. A leur insu, ils contribuent à une mutation qui se fait tout azimut. Quand hier la notion de “droits d’auteur” trouvait une signification dans l’art, aujourd’hui, la notion d’auteur n’est plus aussi limpide ! Qu’est-ce qu’un auteur de nos jours ? Un particulier mettant en ligne une photographie prise par ses soins, est-il réellement un “auteur” ? Question qui mérite d’être posée. Ne devrions nous pas repenser cette notion en tenant compte de notre époque ? Ne faut-il pas nuancer certaines clauses qui ne sont plus aussi probantes qu’elles ne l’étaient jadis ? Le Mashup montre clairement les limites de cette notion trouvant difficilement sa place dans certains moyens d’expression propres au XXI ème siècle.
Faire du Mashup c’est accepter de faire du cinéma autrement. Ce qui gêne le plus les sceptiques, c’est aussi le bouleversement. L’humain n’a jamais été très friand du changement quel qu’il soit. Pourquoi ? Sans doute apeuré des conséquences ou des retombées qu’il n’aurait pas prévues. La tranquillité d’esprit passe par un contrôle or le Mashup jette un pavé dans la mare en s’octroyant ces images qui ne sont pas siennes. L’homme a toujours été animé par un esprit de maîtrise et l’art est précisément une forme qui bouscule les conventions. Une forme d’expression artistique peut difficilement être prédite. En étant toujours liée à une époque ou à un contexte, elle est souvent explicable mais peu envisagée longtemps à l’avance. Et cela n’a jamais été aussi probant que dans notre époque actuelle ou à l’avenir, l’appréhension du monde pourra difficilement se faire sans tenir compte de notre système happé par le virtuel.